ROMAN

18,90 euros - 160 pages

Parution le 03/10/2013

ISBN 978-2-35887-062-7

COLLECTION
LITTÉRATURE

 

 

Nous sommes un orage sous le crâne d'un sourd

Chaïm HELKA

Dijon, Kern Crevel, lieutenant à la brigade des homicides, est en train de lâcher la rampe d’une vie professionnelle et privée à la dérive. Comme beaucoup de ses collègues de la Police nationale, il est en pleine interrogation sur le sens de son métier et de son engagement. Quelqu’un envoie sur son mail la vidéo d’un combat à mort entre un homme et un pitbull. Menant son enquête, le policier découvre un charnier contenant les restes de plusieurs victimes. Et voilà Crevel avec son binôme, Frédéric Bouchard, embarqué dans une affaire qui défie l’entendement : des victimes seraient kidnappées et données en pâture à des molosses lors de combats d’un nouveau genre. Cette video est-elle authentique ? Est ce que ces combats sont le fruit d’une légende urbaine alimentée par la petite délinquance de la réputée paisible ville bourguignonne comme le pense la hiérarchie du policier et lui même le voudrait ?

Entre bavures, indics et secrets honteux, Kern Crevel fait le job à sa manière, jonglant entre des amitiés complexes, ses propres pulsions violentes ainsi que ce sentiment qui, depuis toujours, l’éperonne : la résignation. Cette compagne, atavique presque, se double, chez lui, d’un jusqu’au-boutisme profondément chevillé à son être. La vision du métier, selon Crevel, suppose de se salir pour progresser, de se plonger dans la boue pour forcer les bonnes portes. Cette fange, comme il aime à décrire la matière constituant son travail, s’avère bien plus profonde. L’arrivée d’un gang de Géorgiens, va définitivement faire basculer le policier dans ces bas-fonds qui le révulsent et l’attirent. Jusqu’où ? Jusqu’au bout…

Dans ce premier texte, Chaïm Helka nous offre plus qu’un roman policier obéissant aux codes du genre.  Il brosse le portrait d’un héros confronté à cet “orage sous le crâne d’un sourd”, le fracas de la lutte du bien contre le mal, mais plus encore, confronté à sa propre sensibilité à la banalité de l’horreur, son incapacité à communiquer et écouter.  Ce titre est emprunté à un poème de Blaise Cendrars La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France.

ROMAN

18,90 euros - 160 pages

Parution le 03/10/2013

ISBN 978-2-35887-062-7

COLLECTION
LITTÉRATURE

L' Auteur

Chaïm HELKA

Chaïm HELKA

Passionné de boxe anglaise et de rap, Chaïm Helka est né en 1975 d'un père algérien et d'une mère espagnole et  a passé une partie de son enfance à l'étranger. Aujourd'hui, il vit et travaille à Dijon.  Ses influences littéraires vont de Louis-Ferdinand Céline à Charles Bukowski et il cite parmi les livres qui l'ont le plus marqué Phèdre de Racine et Madame Bovary de Gustave Flaubert. 

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Lundi 23 mars, 04h00 du matin, vent frais et rafales de bruine. Anniversaire de Kern Crevel, quarante-cinq ans aujourd’hui. Un contre cent que personne ne le lui souhaiterait. Pari tenu.

Quatre gallinacées bleu foncé sécurisaient l’entrée de la tour Eugène Sue et deux autres celle de l’appartement, au septième étage, où lui, Kern Crevel, lieutenant à la Brigade des homicides de Dijon, s’activait. Une gardienne de la paix servait de sténo, deux gars de l’Identité Judiciaire prélevaient et un médecin constatait. Ambulanciers et pompiers attendaient le feu vert pour déblayer le merdier. À quatre plombes du mat’, forcément, cela ne pouvait être que du merdier. Cinquante mètres carrés de merdier de premier choix !

- J’te comprends, formula Crevel, c’était qu’une salope !

L’entendant, les techniciens et le médecin se retournèrent en sa direction. Crevel s’en rendit compte mais cela ne modifia en rien son attitude. Il estimait que ceux-là, ainsi que la plupart de ses collègues, ne pigeaient pas un broc à la seule vraie matière valable dans ce métier : l’humain. Démagogie ? Du Kern Crevel tout craché plutôt, du Kern la carne, du Crevel le crevard, surnoms donnés voici longtemps et qui remontaient à la surface comme une haleine chargée après une cuite à s’en ébrécher le cervelet. Technique simple : anesthésier la proie pour la balancer dans le hachoir judiciaire sans qu’elle ne couine de trop et satisfaire les chafouins pondeurs de directives, les avaleurs de statistiques et autres amoureux de chiffres…

Le coupable menotté se tenait assis sur le canapé rouge criard du salon. Crevel l’observait. L’agneau ligoté ne bêlait pas. Résigné, déjà ? Crevel retint un instant son attention sur le rouge vulgaire et usé du canapé. Ce que l’on achetait à coup de crédits mortifères, se lamenta-t-il intérieurement.

Le sieur Roland Dumesnil, cinquante-sept ans, crâne rasé, épaules puissantes, bras charpentés et grossièrement tatoués, taille moyenne, gueule rabotée d’usure et de bibine, ne montrait aucune inquiétude particulière. À côté de lui, Crevel avec son mètre quatre-vingt-deux ressemblait à un chat famélique. Vers minuit, après s’être gavé de téléréalité et, surtout, s’être enfilé une bouteille, Roland Dumesnil avait égorgé son épouse, Odile, pour, sans s’affoler le moins du monde, deux heures plus tard, appeler les condés. Dans la cuisine, Odile Dumesnil stagnait dans son sang, carotides sectionnées, sur le flanc, comme une truie allaitant ses gorets. Crevel s’attarda sur les boutanches de picrate vides sur la table du salon, carburant idéal pour le cloaque. Il passa sa main sur son visage anguleux, sur son pif dévié, souvenir d’une arrestation musclée. Dumesnil, lui, demeurait calme, indifférent…

Devant l’entrée de l’appartement, quelques voisins venaient chiper de quoi se graisser les iris. Le cordon de flic ne les dissuadait pas, et ils se repaissaient avec gourmandise. Crevel se leva et s’arrima à une des fenêtres du salon. En bas, les gyrophares tournoyaient et flagellaient les habitations des tours voisines. On s’accoudait au balcon, on profitait du spectacle, cirque au chapiteau monté à la va-vite et au monsieur loyal absent. C’était le quartier de la Fontaine d’Ouche, à Dijon, zone difficile s’élevant géographiquement à part, à l’ouest de la ville, loin, très loin du centre-ville. Aux pieds des tours, le canal de Bourgogne traçait une frontière liquide. En contrebas de ce dernier : le lac Kir, plan d’eau artificiel baptisé ainsi en hommage au fameux chanoine trusteur de la mairie et inventeur de la boisson éponyme, véritable trésor de l’humanité où un compact cassis recevait le fouet violeur d’un aligoté. La Fontaine les Choufs, comme on la surnommait par ici, s’adossait au bois de la Combe-à-la-Serpent, reliefs forestiers bordant les tours. Pour les dijonnais bobo-druches et bo-bofs, ce quartier équivalait - avec les très sensibles tours de la ville de Chenôve, au sud-ouest, auxquelles il fallait rajouter le quartier des Grésilles au nord-est - à une excroissance de délinquance, trinité d’insécurité où familles immigrées et précaires s’empilaient depuis des décennies. De-là, une jeunesse enragée zieutait les bagnoles de Nationale ou celles des ploucards de la Municipale comme autant d’ennemies ne méritant qu’intifada d’insultes et de crachats. Crevel les comprenait, du moins, il essayait. Voici quelques années, il s’en souvenait à chaque passage, à deux pas de là, un foyer pour immigrés avait été la proie des flammes. Bilan : sept morts. Système d’alarme défaillant, duo d’incendiaires aux passés psychiatriques lourds. Griffée par les flammes, la façade avait été recouverte d’une bâche et une plaque commémorative fut apposée. Depuis peu, les échafaudages en vue d’une rénovation, conquéraient à nouveau ces hauteurs brûlées…

- Une salope oui, une salope ! Si j’aurais été encore à la légion, j’l’aurais déjà crevée cent fois ! dixit Roland Dumesnil.

Crevel entendait mais n’écoutait pas. Flic, Breton de souche, il vivait à Dijon depuis dix-neuf ans. Affecté ici juste après l’école d’Officiers, il avait enquillé trois années chez les Stups, neuf chez les Mineurs et fêterait cette année - si l’on pouvait fêter ce genre de date - sa septième aux Homicides. Son job, il l’abordait comme la quotidienne pratique d’une pente savonneuse, de l’humain et de son surplus foireux. En lui, toutefois, une violence prête à bondir en des situations ne la requérant pas obligatoirement, un démon qu’il maîtrisait avec plus ou moins de succès. Tantôt amorphe, tantôt irascible, il composait.

Revenir à Dumesnil… Il l’aurait volontiers attrapé et forcé à lécher tout le sang de sa bobonne, jusqu’à la dernière goutte et dans les moindres recoins de ce taudis !

Cendrars, son auteur favori, légionnaire lui aussi - bien que le point commun s’arrêtât là avec Dumesnil - avait écrit, et Crevel se le récitait intérieurement : Le sang des Bandits/Les chants de la lumière ébranlent les tours/les couleurs croulent sous la ville/Affiche plus grande que toi et moi/Bouche ouverte qui crie/Dans laquelle nous brûlons… Les vers remontaient comme une marée odorante heurtant les piles d’un pont en des clapotis rythmés et coiffés d’une frêle écume. Du poète suisse de la Chaux-de-Fonds, il connaissait des pans entiers, tapant dedans comme certains se fiaient au hasard du Yi-King et d’autres à l’astrologie, à la divine providence, au fatum. À chacun son phare, sa chaîne…

« À la Légion ! » Roland Dumesnil ne se remettait pas d’avoir servi les trois couleurs, bandant à coup sûr jusqu’à la nécrose de fierté. Crevel remarqua une photo encadrée sur un des murs : Dumesnil, képi blanc enfoncé à mi-front, flingue en bandoulière avec, en arrière-plan, une sèche immensité montagneuse. Il se posa alors la question : en plus de son amour-propre perdu dans l’anus d’un cabri, qu’avait-il perdu d’autre, là-bas ?

- Ça, patron, c’est le Mont Tahat, dans le Hoggar ! fit Dumesnil fier comme un propriétaire terrien présentant ses biens.

Il l’avait appelé « patron », comme tous les soumis avides de reconnaissance hiérarchique. « Vingt piges de légion ! » clama-t-il encore. Tel était son cv… Quatorze ans de mariage, trois gosses, dix-neuf de poulaga tel était celui de Crevel, et de rajouter : divorcé depuis quatre ans et, comble du comble, c’était son anniversaire. Tchad, Liban, Centrafrique, Djibouti… Dumesnil égrainait ses affectations telles des litanies. Guerre et chtouille, certains y faisaient carrière. Lui, le béret vert, avait chassé le bronzé, le bicot, le bamboula, le métèque, le niaque en écrasant de ses semelles leurs terres et leurs faciès. Il se plaignait maintenant de ne plus supporter les CDD d’agent de sécurité sous-payés, de bourrer les boîtes aux lettres de pubs ou pire, de se retrouver affublé d’une chasuble jaune fluo pour faire traverser les écoliers avec un petit panneau stop. Pendant ce temps-là, sa rombière bouffait sa chiche pension de l’armée, usait ses bigoudis et zappait à en flinguer la télécommande. Dumesnil, pauvre con harassé par la vie, parce qu’il n’était plus personne, avait tranché sa mie à l’Opinel. « À la légion » - il se répétait : il avait été quelqu’un bon dieu ! Maintenant, les mères-pétasses le toisaient lorsqu’elles déposaient leurs petits étrons adorés et que lui gérait le flux de circulation…

- J’deviens fou ici. C’est le boxon la nuit ! Z’ont même chié devant ma porte ! Y roulent dans des bagnoles pas possibles ! D’où qu’y sort leur pognon ? Hein ? D’où ? Et si vous dites que’que chose y vous font devenir cinglé !

- Mais votre femme ? coupa Crevel.

- Elle reluquait le Mamadou d’à côté. Un marabout !

Crevel perçut dans sa voix une pathologique paranoïa.

- D’à côté… ?

- Le voisin ! Diakité, le marabout quoi ! Elle baisait avec, j’en suis sûr !

Toutes les excuses étaient bonnes pour en finir avec quelqu’un. Le lieutenant détailla la pièce encore une fois : écran plat immense, dvd, poster représentant un loup sur fond bleu-nuit, cd de Johnny Hallyday. Amen. Il revint vers Odile : un bel égorgement de sentinelle…

 

Le légiste achevait sa tâche, le lieutenant Frédéric Bouchard, binôme de Crevel, se pointa, en retard, sans s’excuser, comme un poil de fion dans un velouté. Crevel planta ses yeux dans les siens extrêmement bleus et déclara, laconique :

- L’était temps !

Coupe de premier communiant, belle gueule vissée sur un corps entre l’épais et le muscle, un mètre quatre-vingt-cinq, Fred, comme tout le monde l’appelait au commissariat, ne répondit pas et enfila une paire de gant en latex. Bourguignon pur jus à la tête poupine, l’alliance entre lui et la carne n’allait pas de soi. Crevel le jugea préoccupé, pas dans sa gamelle. De même grade, le breton avait un net ascendant sur lui. Fred Bouchard s’en accommodait parfaitement et ce, sans compter les dix années d’expérience de plus du breton. Crevel lui ordonna d’escorter Dusmenil jusqu’au véhicule avec l’aide d’un des gardiens de la paix faisant le planton à l’entrée de l’appartement. Bouchard, sans ôter ses gants, prit le prisonnier par la saillie du coude et ce dernier suivit, courbé, nippé de son pantalon de pyjama sale et de son marcel jauni. Les voisins dans le couloir, assistaient à l’extraction de Dumesnil. « Gros raciste de merde ! Sale blanc ! Fils de pute ! » fusa de l’assemblée. Dans le couloir : odeurs de friture, de pisse, glaviots séchés sur les murs, tags, linoléum rongé, la vie brute et sans promiscuité. Dumesnil reconnaîtrait tout, simple formalité, interrogatoire de routine, preuves accablantes, aucun déni, l’affaire serait vite réglée et on huilerait le grand tourniquet.

 

Lundi 23 mars, 06 h 45, le soleil braquait ses rayons, crevait les masses nuageuses, dards zébrant les tours, et les vitres accouchaient d’éclats étoilés… Je ne vais pas plus loin/C’est la dernière station… Crevel se remémora ces vers de Cendrars collant parfaitement à Dumesnil mais pas uniquement. À lui ? Soudain, pris d’une lucidité accrue et percutante, il s’insulta intérieurement ! Du travail de bleusaille ! Les gardiens de la paix n’en menaient pas large avec les habitants mais ces derniers ne semblaient pas vindicatifs outre mesure. Crevel affecta les deux uniformes à former un barrage tandis qu’il se précipitait vers la porte du voisin, le dénommé Enoch Diakité, marabout de son état. Il sonna plusieurs fois, frappa. Porte ouverte, comme il le redoutait. Travail d’amateur, s’engueula-t-il lui-même ! Il sortit de sa poche une nouvelle paire de gants en latex et l’enfila.

Appartement en désordre, comme si on s’était battu. D’innombrables sacs en plastique remplis de fringues, de papiers, de bouffe jonchaient le sol tout comme des saloperies de blattes par dizaine infestaient l’endroit. Crevel en écrasa quelques-unes par inadvertance, leurs structures répugnantes craquant sous ses semelles. Odeurs de renfermé et une autre aussi, une qu’il venait de renifler chez les Dumesnil : le goût métallique du sang. Elle lui attaqua le palais.

Là, dans le salon, dans ce fatras de meubles sans goûts, aux pieds du sofa aux coussins couleurs chaudes, Enoch Diakité, sur le dos, trempait dans son jus vital, égorgé sauvagement. Crevel s’accroupit et observa le corps. Un mètre quatre-vingt-quinze au bas mot, musclé, fin, racé, qu’est-ce que cet apollon noir avait pu trouver à cette grosse bonne femme ? Rien se dit-il, rien du tout. Folie du mari ! Il se concentra sur le mort dont le boubou ocre aux motifs cyan était envahi par une large tâche sanguine à hauteur de pelvis. Il souleva la robe, décolla le tissu de la plaie : castré ! Crevel inspira et expira fortement, détectant un seul et unique élément : la misère, ce virus qui phagocytait tout. Imparable. Fatalité ? Meqtoub ? Cet échalas de Diakité avait été sacrifié par le toubab qui avait emporté son trophée majeur : son membre considéré comme fautif. La peur priapique !

Il jeta un rapide coup d’œil : décorations bigarrées, statuettes africaines pour touristes, bouquets de pattes de poulets calcifiées pendouillant au mur. Il visita les autres pièces : une chambre à coucher bordélique et une salle de bains. Sur le carrelage, comme rongé de la pièce d’eau, des gouttes de sang d’un bon diamètre menaient jusqu’aux chiottes où d’autres cafards s’épanouissaient. Il prit garde de ne pas écraser les tâches sanguines ni ces maudits rampants. Dans l’émail piqueté de la cuvette il découvrit sexe et bourses tranchés baignant comme un petit fœtus dans une poche utérine. Pas de haut-le-cœur, la défaillance universelle se situait là, sous ses yeux et il aurait beau tirer la chasse, elle ne partirait jamais. Le bal reprit : légiste, ambulanciers…

 

Vers 11 h 00, Crevel débarqua au commissariat place de l’Abattoir et retrouva Fred Bouchard et Dumesnil en pleine déposition. Il consulta son portable : aucun message de ses trois enfants. Ils avaient le reste de la journée pour se manifester mais il n’y croyait pas…

 

 

 

 

 

Noir et froid. Il ne distinguait rien et ne portait plus que son slip. Sous ses pieds nus, un mélange de terre et de graviers. Que foutait-il là ? D’habitude, quand avec ses potes faces de craie il se fritait contre les crouilles ou les négros, tous se contentaient d’un pif cassé, de dents pétées. Ça pouvait dégénérer sévère quelques fois, mais c’était la loi d’un genre qui n’en possédait pas, cependant jamais on ne kidnappait, jamais.

Il avait pissé cinq fois au moins depuis qu’on l’avait enfermé ici et vu l’odeur, il n’avait pas dû être le premier à y croupir. Sous la porte de ce cachot, un fin interstice d’où aucune lumière ne passait, pour le moment. Des bruits parvenaient jusqu’à lui, des cris d’hommes, comme une foule encourageant des combattants.

On l’avait kidnappé de jour et en pleine rue. Une BMW noire s’était arrêtée à sa hauteur et, ni une ni deux, ils l’avaient embarqué de force et jeté sur la banquette arrière. Tout en redémarrant, ils l’avaient bourré de coups dont plusieurs en pleine tronche, assez pour le laisser semi-conscient. Toile de jute puante enfilée sur la tête et malgré les coups reçus, il avait entendu très le net cliquetis d’un cutter. La lame s’était posée contre sa pomme d’Adam : « Bouge pas enculé ! ». Le ton ne laissait aucun doute sur leur capacité à lui taillader la trachée. La voiture roulait vite, trop vite. Les respirations de ses ravisseurs tentaient de revenir au calme. Senteurs de blousons de cuir, de sueurs, de musc…

Dans son cachot il grelottait, éprouvait une méchante envie de déféquer et ne contrôlait plus ses larmes. Il était bon pour un sort à la Ilhan Halimi. Qui avait pu monter ce traquenard ? Qui se vengeait ? Les bougnes, se disait-il. Il le pressentait, comme programmé pour. Au début, il les avait insultés de toutes ses forces, les avait défiés, lui, le françaoui, seul et en slibard, lui le courageux, et eux les couards, les fiottes, bittes circoncises si haïes ! Eux et leur barbaque hallal, leurs gonzesses voilées comme des fantômes, voleurs compulsifs et profiteurs d’allocs ! Qui z’y viennent, gueulait-il, ces bouffeurs de chorba, ces dealers, ces enculeurs de moutons ! Qui z’y viennent, à la réglo, leur avait-il dit, et ils verraient ce qu’un aryen leur ferait !

Avant de l’enfermer dans cette cache puante, et pour le désaper, ils avaient découpé ses fringues au cutter. Éraflures. Coupures. Il s’était senti en passe de demander pitié, mais s’était ravisé.

Les acclamations continuaient, cris si proches. Ces fellaghas allaient le martyriser ! Surgirent des couinements de chiens, des aboiements…

Se remémorer les événements, cela l’aiderait à tenir voulut-il se convaincre. Y verrait-il plus clair ? À 19 h 00 il avait quitté son boulot d’agent de sécurité aux entrées de l’hôpital du Bocage, à l’est de la ville. Il refit mentalement ce trajet si familier. En attendant le bus à l’hôpital, il avait entendu les balles de tennis sur les terrains voisins de terre battue séparés par une simple palissade de thuyas. Les balles cognaient contre les tamis tels des bouchons de champagne, ceux des bourgeois marinant dans leur sueur de nantis ! Ceux-là aussi il les détestait aussi ! Dans le bus, il avait pris place à l’arrière, dans la partie sans sièges, restant debout contre le grand pare-brise arrière et évitant ainsi que quelqu’un ne vienne à s’asseoir à ses côtés. Une BMW noire aux vitres fumées s’était collée derrière le pachydermique transport en commun, adoptant son rythme, il s’en rappelait maintenant. Le bus avait rejoint l’avenue Poincaré et le boulevard Champollion, deux axes formant les frontières vers un autre quartier à la réputation sulfureuse : les Grésilles, troisième membre de la triplette avec la Fontaine d’Ouche et Chenôve. Toutefois, ce quartier avait connu une forme de chance quand furent dynamitées les barres au profil d’élevage en batterie, chance seulement visuelle du moins. Des familles y furent recasées sans pour autant qu’on s’attaque au seul et vrai problème : le chomdu ! Ici, les mamelles de l’État s’étaient taries… Il se revit à la gare ferroviaire, terminus du bus, à l’opposé de son lieu de travail. Dans un des fast-foods polluant la rue, il s’était acheté un sandwich américain et une grosse portion de frites. Remontant la rue Guillaume-Tell, il avait salivé en humant la bouffe grasse dans son sac en plastique huileux. Il ne s’était pas retourné. La BM noire le suivait toujours, commettant plusieurs infractions afin de rester à son contact. Il était passé devant un sex-shop, un lavomatique, une pizzeria tout en pensant aux bastons vécues avec ses compagnons chauffés à la binouze, manche de pioche à la main, rangers à lacets blancs et ourlets de jeans moulant à mi-botte… Encore cent mètres et il serait chez lui. Brusque freinage à sa hauteur ! Trois gars en capuches et casquettes étaient sortis de la BM. Rapides et déterminés, ils l’avaient empoigné ! Le sandwich mayo-ketchup et les frites grasses s’étaient éparpillés sur le trottoir, festin béni pour les pigeons, ces rats volants véritables maîtres de la cité.

Des témoins, se répétait-il dans son croupissement, il devait bien en avoir ! Plus le temps de cogiter ! La porte s’ouvrit. Des gars fondirent sur lui et le rossèrent, encore. Il se mit à chialer, à demander pitié, à implorer. Toile de jute sur la tête. Ils l’emmenèrent…

Du ciment sous ses pieds, la rumeur s’amplifiait. Brusque augmentation de la chaleur, comme des rayons lui giflant la peau ! Sous ses pieds, de la sciure maintenant. Tremblant, l’envie de chier devint quasiment incontrôlable. On ôta la toile de jute. Ébloui, lumière en pleine gueule. Une foule s’agitait, formes sombres et surexcitées ! Autour de lui, une enceinte ronde constituée d’un muret de béton lui arrivait à la taille. Au sol, des amas poisseux de sciure et de sang. Des crachats maculèrent sa peau. Son cœur allait exploser !

Deux gars vêtus de noir, capuchés comme les autres entrèrent dans l’enceinte avec en laisse un molosse tout en gueule. Oreilles coupées en pointe, poitrail puissant, côtes saillantes, cuisses musculeuses, brun et blanc, sa babine droite emportée laissait entrevoir ses crocs. Une cinquantaine de centimètres au garrot : un Am Staff ! Cette pourriture déchiqueteuse le fixait.

 

 

 

 

Mardi 24 mars, 15 h 00. Kern Crevel attendait toujours que ses gosses lui souhaitassent son anniversaire. Rien, pas même un texto. Il attendait mais n’espérait plus, lui-même n’étant même plus sûr de leurs jours de naissance respectifs… Son repas de midi avait été expédié et son ventre gargouillait à présent.

Dumesnil l’ancien légionnaire, son épouse égorgée et le marabout châtré, gentil petit monde passé à l’étripage, tout revenait, non comme une obsession mais telle une partie de la grande conclusion, une nouvelle couche sur l’état des choses, choses qu’il ne savait définir. Il faisait du porte-à-porte dans la tour Eugène Sue à la Fontaine d’Ouche, lieu du drame et ce, depuis une heure et demie environ, confisquant du temps pour réfléchir, prendre le pouls et la satanée foutue distance. « On sait rien » répétitif refrain des occupants de l’immeuble. Autre paramètre à prendre en compte : un problème indigeste, un os advenu dans la matinée, à la prise de son service ce matin, à 08 h 00.

 

La veille au soir, rentrant tard, ne comptant plus ses heures depuis belle lurette et laissant les RTT comme objet de lutte aux délégués syndicaux ne sachant plus ce que le terrain signifiait, son voisin de palier, Mayeul Duvernois, retraité du corps enseignant et poivrot fini, s’était invité chez lui. Un mètre soixante-dix, du ventre et de la maigreur autour, une couperose galopante, des cheveux blancs et sales, il s’était présenté avec quatre bouteilles de pinard, deux blancs et deux rouges, pour l’équilibre. Tous deux vivaient dans une résidence anonyme, œuvre d’un architecte ayant dû composer avec un budget ne lui autorisant que des matériaux d’entrée de gamme. Rue d’Auxonne, à quelques encablures de la prison, le deux pièces de Crevel se situait dans une des artères de la ville les plus sujettes au trafic automobile. Vers le sud-ouest, on tombait sur le cimetière et ses ribambelles d’entreprises de Pompes-Funèbres. En allant vers le nord-est, une kyrielle de bistrots où le sieur Duvernoy avait ses critiquables habitudes. Seul élément positif, la turne de Crevel se trouvait près de son boulot, le temps de remonter la rue, de traverser la cossue place Wilson et son jet d’eau imitation Versailles, de s’engager ensuite par la rue d’Orange, de passer enfin devant l’imposant lycée Saint-Sulpice, de fendre un des nombreux groupes de lycéens fumant à l’entrée et dont les fumées cannabiniques venaient, à chacun de ses passages, titiller ses narines… Quinze minutes à pieds. Voisin du commissariat de la place de l’Abattoir, une résidence HLM, petite enclave malfamée : le Petit Cîteaux ; à croire que la loi s’accordait parfaitement avec la délinquance, en harmonie presque, du moment qu’elle fut à ses pieds… Qui était le requin et qui le rémora ?

Plus que picoler avec le sieur Duvernois, vieux professeur d’histoire-géo esquinté par les décennies d’enseignement. Crevel aimait parler avec lui. Duvernois tentait, pour sa part, de faire son éducation viticole, mais Crevel s’en contrefoutait de ces histoires de vinasse, de climats et de terroir ! Par ici, cette vinasse remplaçait les Saints Sacrements et bien qu’y vivant depuis dix-neuf ans, non rien à faire, il s’en branlait. Ils avaient commencé à s’abreuver en écoutant l’albumHunky Doryde David Bowie. C’était le thème des soirées, toujours : picrate et musique. La première boutanche casée dans les estomacs - surtout dans celui de Duvernois - ils attaquèrent London Calling des Clash et la voix de Joe Strummer vint à rythmer l’éclusage… The ice age is coming, the sun’s zooming in…

01 h 00 du matin, Duvernois tenait difficilement sur ses guiboles. Ils avaient surtout discuté de ce machin irrécupérable : la perte, celle, profonde et indéfinissable qui touchait tout le monde et rendait marteau ! Duvernois était parti vers 02 h 30. Vers 04 h 00, avant de plonger dans un souhaitable mais court sommeil, Crevel avait regardé une dernière fois son portable : aucun message de ses enfants.

 

Garée sur le parking haut du centre commercial de la Fontaine d’Ouche, point névralgique du quartier, sa Saab noire 900i hatchback combi-coupé classic, cinq portes, année 1989, se révélait entretenue avec maniaquerie. À l’étage de la galerie : une boucherie Hallal, un bazar, une MJC et une bibliothèque ponctuaient d’innombrables locaux vides. Au rez-de-chaussée, via un escalier repeint à la pisse, on accédait à un supermarché avec vigile molossoïde. À ce niveau, disséminés : des kébaberies, un bistrot, un laboratoire d’analyse et un théâtre, sorte d’anomalie qui s’entêtait à proposer des pièces. Au centre de tout : une immense dalle de béton avec une fontaine sans eau chapotée de tours gardiennes. Crevel dut traverser tout le centre commercial pour rejoindre l’avenue du Lac et la tour Eugène Sue, adresse des Dumesnil. Cette artère, longeant parallèlement le canal, était la plus animée du quartier, occupée par toute une voyoucratie souvent aux prises avec la flicaille. Tout évoluait et les jeunes qui avaient rêvé d’un mieux voici des années, et face à la condamnation aux minima sociaux, faisaient scission avec cette République qui triait ses enfants. Crevel se souvenait d’un épisode, voici trois ans, quand fut vandalisée la mairie annexe du quartier. Le buste de Marianne avait été retrouvé copieusement oint de semence. Le préfet, de rage, avait commandité des analyses. Résultats : plus de trente types de sperme différents sur la gueule de Marianne ! Crevel en riait encore. Elle ne les aimait pas et eux l’avaient chérie de siffrediesque manière !

Crevel délaissa la tour Eugène Sue et sa lassante enquête de voisinage pour remonter à nouveau par le centre commercial. À l’aller, il avait croisé les dealers qui vendaient ouvertement leur came pour les recroiser maintenant. Deux ou trois le dévisagèrent mais ni eux ni lui n’engagèrent les hostilités. Il se dirigea vers un bistrot à deux pas quand un scooter monté par deux jeunes sans casque le frôla, majeurs ostensiblement dressés avec, en sus, une bordée d’insultes où il était question qu’il pratiquât un coït brutal sur sa mère. Il demeura stoïque. Sous son blouson marron foncé de mi-saison et usé jusqu’à la trame, en rapprochant le bras gauche de son flanc, le breton sentit dans son holster son Sig-Sauer.9 mm…Nous entendons une bande de grands animaux que nous cherchons ! On perd l’équilibre à chaque instant… Juste avant d’arriver au bistrot, à côté du supermarché, un enclos avec un petit terrain de jeux où quelques enfants, préservés encore, s’ébattaient. Leurs mères, assises sur des bancs, devisaient en des langues palatales et chaudes. Dans leurs yeux, l’expression évidente qu’elles ne se sentaient pas chez elles et qu’on le leur serinait régulièrement. Il se demanda, comme à chaque fois, qui servait-il et pourquoi ? La réponse ne lui plaisait pas. Il prit place à une table du Café des Fontaines et commanda un expresso. À vingt mètres de lui, dealers et guetteurs continuaient à l’observer et, leurs clients, d’un simple regard, rebroussaient chemin. Sur son portable dépassé et à clapet, il tapa un texto : Serpent. Dealers et guetteurs ne le quittaient pas des yeux. Le négoce faisait une pause. « Flic gros pédé ! » fusa. Il n’en tint pas compte, s’en amusa presque. Il but son expresso, en recommanda un autre. En arrière-goût, les vins de la veille se mélangèrent au marc râpant son palais. Son portable vibra : dix minutes. Il avala le reste du breuvage et laissa un billet de cinq euros. « Sale pute de Schmit ! » Peu d’originalité dans la saillie jugea-t-il, comme toujours.

De retour à sa voiture, constatant qu’elle était en un seul morceau, il remercia le dieu veillant sur les bagnoles en milieu instable. Il porta son regard vers le boulevard Bachelard, sur sa gauche, donnant en ligne droite sur celui du Maréchal Juin pour enchaîner avec la rue des Valendons et atterrir directement à Chenôve, ou plutôt Ch’nôve, comme il était coutumier de prononcer. Deux kilomètres de séparation entre deux points joliment qualifiés de difficiles. Greffée au flanc ouest de Dijon, Chenôve voyait proliférer depuis des années la délinquance, la drogue, les armes, le banditisme et, derrière l’acronyme de ZUP, ne galopaient qu’exclusion, relégation, chômage, débrouille… Entre tours, barres et quartiers pavillonnaires du vieux Chenôve, la ville produisait aussi des street-dancers de renommée mondiale, des rappeurs hardcores réfléchis et lucides, des sportifs et des universitaires condamnés à trimballer leur bac + 8 en bandoulière, d’entretien en entretien, de stage en stage… Grésilles et Fontaine d’Ouche possédaient de jumeaux paramètres et les familles luttaient pied-à-pied contre la tentation délinquante de leurs enfants, les quelques mailles du tissu social ne résistant que très partiellement au passage acide de la déliquescence. Estampillé made in Ch’nôve, label qualitatif ! Quand évoqué par les dijonnais centreux, ce nom suintait peur et méfiance. Oh ce n’était pas le neuf-cube et ses mythes urbains, le deux-un ne rivalisait pas, rarement du moins. La cité tremble/Des cris, du feu et des fumées/Des sirènes à vapeur rauquaient comme des huées… dixit Cendrars dansla Pâques à New York. L’esprit de Crevel galopait trop vite et trop fort, quoique…

Il démarra et emprunta le boulevard Bachelard, remonta toute la Fontaine d’Ouche en direction de la rue de la Combe à la Serpent, plus à l’ouest. Il fit ronfler sa Saab durant les deux minutes de route. Dieu qu’il chérissait ce bruit de moteur scandinave. À quelques hectomètres des tours, un changement radical de paysage s’opérait, départ vers les reliefs boisés du Parc de la Combe à la Serpent. Quelques maisons s’alignaient sur les flancs des premières élévations qui, l’hiver venu, recevaient dans leur jardin la visite de daims et de sangliers. Parking désert. En contrebas, concession sportive, un bout de forêt avait été sacrifié pour que naisse une pelouse footballistique. Crevel éteignit le moteur mais laissa son autoradio lecteur mp3 tourner, son seul véritable luxe. Deep Purple, Child in time, Ian Paice, le batteur de Deep Purple, achevait son légendaire solo et Ritchie Blackmore put délester ensuite ses riffs magiques. Ian Gillian, à son tour, appliqua sa voix orgasmique quand une Audi blanche aux vitres teintées vint stationner à côté. Crevel coupa le son et se dit, comme à chaque fois, qu’ils avaient cette indécrottable et risible habitude de rouler dans des modèles tape-à-l’œil surpuissants, valant des décennies de smic et payés cash par-dessus le marché ! C’était leur style, leur staïle comme ils disaient : se faire remarquer et, forcément, les honnêtes et frustrés quidams n’y voyaient, eux, que le fruit du trafic exhibé sans vergogne et, de ça, les possesseurs de ces bolides en jouissaient !

Crevel descendit de sa guimbarde. Il logea son corps sec dans l’Audi. Une forte odeur de shit l’alpagua. Dans l’habitacle, un gueuleur de rap crachait son flow enragé… Triumph, du Wu Tang Klan. Method Man éructait… As the world turns, I spread like germs/Bless the globs with the pestilence, the hard-headed never learn/It’s my testament to those burned… Crevel éteignit la radio. Aucune politesse entre lui et le Prod'.

- Si c’est pour ton toubab qu’a crevé sa morue et l’aut' négro, j’en sais rien ok !

- M’en cogne de ça ! - Crevel eut un temps de réflexion - Les combats de chiens ?

- Quoi les combats de ienchs ?

- Y en a par ici ?

- Pfff ! C’est dépassé ça !

Aussi fin qu’un cairn disait-on de Crevel dans la maison poulaga, doux comme un dolmen et beau comme un tertre ! Il asséna un grand coup-de-poing dans le crâne rasé et casquetté du Prod', le prit par le cou et appuya de tout son corps pour le bloquer.

- J’ai pas le temps Hakim ! Pas le temps !

Crevel s’énervait et Hakim Yayahoui, dit le Prod', un des chefaillons de la cité et producteur foireux de rappeurs du cru, savait qu’il ne fallait pas trop titiller le flic, pas du tout même. Vingt-six ans, un mètre soixante-dix-huit, grassouillet, habits de marque, casquette N.Y patinée, Yayahoui était l’indic de Crevel. Shit, électro-ménager et rap, le Prod était le Darty off du coin. Il devait lâcher une info, c’était le deal, le contrat, cimenté par le passé. Bizgo contre info et, ainsi, de chaque côté, on ne tirait pas trop sur la laisse.

- Par ici y en a plus d’puis longtemps, la vérité !

- Où alors ? fit Crevel en relâchant l’étreinte.

- C’est pas ma came ! Mais je connais p’t’être des gars qui pourraient en organiser.

- Qui?

- Des ruskoffs !

- Quoi ?

- Des géorgiens quoi ! Y kiffent ces trucs-là !

La paume gauche du flic enveloppa le crâne d’Hakim pour le claquer contre le volant. La casquette sauta en l’air. Crevel la carne négociait et le Prod', pourtant costaud, ne se défendrait pas.

- P’tain de merde ! M’sers pas tes restes Hakim ! Je veux savoir si y a des combats entre homme et chien ? C’est clair ? Des combats à mort ! Tu piges bordel ?

- Du transgenre… - fit Hakim en se tenant le nez mais ne se plaignant pas de la peignée - j’en ai jamais vu. J’t’l’ai dit, les ruskoffs, eux, p’t’être, mais y sont complètement tarés !

- Tarés ? Et c’est toi qui dis ça ? Et tu mélanges tout en plus, russes, géorgiens… Continue !

- Y font dans la pute, les guns, l’héro et les ienchs, y adorent ça ! Du transgenre, moi j’en ai jamais vu. Mais pourquoi tu veux savoir ça ?

- Tu poses des questions maintenant ? Tu bosses avec les géorgiens ?

- Deux ou trois fois pas plus, eux y sont vraiment oufs, j’te l’ai dit !

- Ah oui c’est vrai que toi et tes gars vous êtes pas oufs, hein ? fit Crevel cynique. Ils crèchent dans les foyers pour étrangers ?

- Tu déconnes ? Y en a oui, les honnêtes, mais les gros, sûr’ment pas ! Y z’ont des réputes de ounches !

- Par exemple ?

- J’ai entendu dire que, quand une des pouffes qu’ils font venir de chez eux pour faire la pute se rebelle, ils la tuent et envoient la tête à la famille !

Crevel ne répondit pas sur le moment. Plus on approchait de la frontière et plus on se frottait à des comportements défiant toute concurrence.

- Vingt-quatre heures. Un nom, quelque chose.

- P’tain ! se lamenta Hakim.

- J’veux voir un combat. Trouve-moi ça !

 

De retour dans sa voiture, Crevel démarra et cala son lecteur sur White Roomd’Eric Clapton. La voix du rosbif, s’éleva en parallèle de ses accords tortueux. Il repensa au problème surgi ce matin, au problème carnassier…

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